Le site de Colpach – un aperçu historique
Joseph Kohnen
Du point de vue géologique, le paysage accidenté et le sol argileux et marécageux de cette partie de la vallée de l’Attert traversée par un petit ruisseau se prêtait toujours difficilement à la culture des champs, si bien que la population restait pauvre. Il est question de la seigneurie de Colpach dès le 13e siècle, et les propriétaires de l’endroit sont restés de condition sociale médiocre tout au long du Moyen Âge. Vers la fin du 17e siècle, le manoir à plusieurs tours, entouré de fossés et d’un mur d’enceinte, paraissait toujours modeste. La lecture des armoiries permet de conclure très tôt à une parenté avec Ell, petite forteresse voisine à l’aspect farouche.
A Pâques 1303, le comte Henri de Luxembourg céda le domaine à son écuyer Nicolas de Guerlingen de qui il passa à Johann de Colpach, seigneur d’Ell. Des liens dynastiques durables se sont établis seulement au début du 17e siècle. En 1628, l’héritière Marie-Elisabeth de Berg épousa Charles-Théodore de Pfortzheim, fils de Nicolas de Pfortzheim. En 1750, Jean-Henri de Pfortzheim fut reçu à l’Etat noble de Luxembourg ; en 1766, son domaine comprend 204 ha avec un manoir, plusieurs maisons, un moulin et les revenus annuels s’élèvent à 1280 florins de Brabant. Le portail monumental d’entrée sud-ouest du château à deux pilastres avec fronton classique date de 1747. Les membres de la famille sont entrés dans la carrière militaire, dans le bas clergé ou dans les ordres. Philippe-Charles, petit-fils de Marie-Elisabeth, finit avec le grade de colonel dans l’armée espagnole ; Jean-Georges de Pfortzheim, époux de Marie d’Aubach, fut le premier à laisser une fortune considérable à son frère Jean-Henri. Un de ses fils, François-Charles, épousa Marie Schütz, fille d’un riche cultivateur de Bascharage dont il eut e.a. Jean-Georges de Pfortzheim qui de son second mariage avec la baronne Anne-Lise de Tornaco eut Marie-Justine laquelle, en tant qu’héritière universelle, épousa en 1817 le baron Marie-Alphonse-Philippe de Marches (1802-1861), descendant d’une vieille famille féodale de la Gascogne anoblie en 1751 par l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. Celui-ci possédait des biens à Guirsch, Ell, Hondelange, Paret et Pleimling du côté arlonnais. Sa résidence fut le vieux château d’Ell qu’il acheta en 1834. Leur fils cadet, le baron Henri-Edouard de Marches ( 1820-1873 ), seigneur de Guirsch, premier-lieutenant des hussards du duc Ferdinand de Saxe-Cobourg au service de l’Autriche, était marié en premières noces à Marie-Joséphine-Ghislaine baronne d’Oversché de Neer-Yssche de Bruxelles ; veuf en 1859, il hérita à la mort de sa mère en 1863 des seigneuries de Colpach et d’Ell ainsi que d’un nombre de métairies dans la région de Burg-Reuland, Bascharage, Pétange et Linger. Malgré l’opposition de sa famille, il épousa en secondes noces en 1865 la roturière Marie-Anne Cécile Papier (1845-1915) de Luxembourg, issue d’une famille bourgeoise aisée disposant de ramifications et de relations multiples dans le pays, en France, en Belgique et aux Pays-Bas.
C’est avec cette union que le site de Colpach commença par obtenir une vraie signification culturelle et sociale dans l’histoire du Luxembourg moderne. Dès 1871, les de Marches-Papier firent venir à Luxembourg le jeune peintre hongrois Mihály Munkácsy (1844-1900) dont ils avaient fait la connaissance l’année précédente à Düsseldorf. Peu après la mort de son mari survenue le 1er juin 1873, la châtelaine épousa l’artiste au talent prometteur qui, par ses nombreux tableaux réalisés tant à Colpach que dans les splendides hôtels parisiens dont disposait le couple, devait acquérir une renommée internationale et devenir le plus grand peintre hongrois. Ses paysages de Colpach et ses fresques historiques représentant la passion du Christ sont mondialement célèbres. En outre, le château de Colpach accueillit dans ses murs et dans son parc progressivement aménagé la crème de la bourgeoisie luxembourgeoise, mais aussi des hôtes étrangers de marque, comme le marchand de tableaux Charles Sedelmeyer, les peintres Lászlo Páal et Wenzel de Brozik, le sculpteur Stanislas Lamy, le violoniste Jenö Hubay, le cardinal hongrois Haynald et surtout Franz Liszt qui y séjourna du 5 au 20 juillet 1886 et à cette occasion donna son dernier récital au Casino des Bourgeois à Luxembourg le 19 juillet. Atteint d’une maladie incurable, Munkácsy mourut le 1er mai 1900 à Endenich près de Bonn. En 1909, la plus grande partie du domaine fut vendue à un parent lointain de Mme Munkácsy, le baron Frédéric de Wyckerslooth de Bruxelles, lequel céda l’ensemble de la propriété en 1917 à l’industriel Emile Mayrisch.
Avec le couple Emile Mayrisch – Aline de Saint-Hubert un esprit nouveau, cosmopolite, tourné résolument vers les horizons artistiques et spirituels du 20e siècle, s’installa à Colpach. Après d’importantes transformations effectuées tant à l’édifice du château que dans la vaste enceinte du parc, l’endroit devint jusqu’à l’invasion allemande en 1940 le lieu de réunion d’un nombre impressionnant de personnages intellectuels de l’époque tels que P. Claudel, K. Jaspers, W. Rathenau, Van Rysselberghe, P.Viénot, M. Delcourt, J. Hackin, B. Groethuysen, E.R. Curtius et A. Gide.